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Le casse tête chinois de la neutralité religieuse en entreprise

Social - Fonction rh et grh, Contrat de travail et relations individuelles
06/04/2017
Spécialiste du droit travail, Caroline André-Hesse, associée du cabinet AyacheSalama, revient sur les arrêts de la CJUE du 14 mars sur le port de signes religieux en entreprise. Elle plaide pour une approche pragmatique afin de ne pas placer les employeurs dans des situations inextricables.
Si les règles applicables en matière de neutralité religieuse apparaissent relativement simples dans une entreprise publique grâce au principe constitutionnel de laïcité, les entreprises privées se heurtent, en revanche, à un véritable casse tête chinois lorsqu’elles souhaitent imposer à leurs salariés une neutralité religieuse.
La loi Travail autorise l’employeur à inscrire un principe de neutralité dans le règlement intérieur. Celui-ci n’est pas réservé à la neutralité religieuse, mais vise toute forme de convictions ou opinions politiques, philosophiques, voire syndicales. Les restrictions qui en résultent doivent toutefois être justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise si elles sont proportionnées au but recherché. Ces justifications devront désormais être interprétées à la lumière de la réponse apportée, le 14 mars dernier, par la CJUE aux deux questions préjudicielles, belge et française, qui lui ont été posées sur ce sujet.

Règlement intérieur

Dans l’affaire belge, le règlement intérieur de la société prévoyait un principe de neutralité s’appliquant à « tous signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle ». La question posée à la CJUE visait à déterminer si l’interdiction de porter un voile sur le lieu de travail constitue une discrimination directe en présence d’une règle interne interdisant le port de tout signe religieux. La CJUE répond par la négative.

Qu’en est-il, en revanche, lorsque le règlement intérieur ne contient aucune disposition à ce titre ? Tel état le cas dans l’affaire française où une salariée a été licenciée pour avoir refusé d’ôter son voile à la suite d’une demande en ce sens d’un client. La question préjudicielle posée par la chambre sociale visait à déterminer si une discrimination fondée sur les convictions religieuses pouvait être justifiée par la prise en compte, par l’employeur, des souhaits d’un client.

Attitude de la clientèle

La réponse est clairement négative : en l’absence de règle interne interdisant le port de tout signe visible, la CJUE considère que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits d’un client ne constitue pas une exigence essentielle et déterminante, susceptible de justifier la discrimination ainsi opérée. La dérogation au principe de non discrimination en fonction de l’appartenance religieuse suppose, en effet, des critères objectifs liés à la nature ou aux conditions d’exercice de l’activité et ne peut reposer sur des considérations subjectives telles que le ressenti d’un client.
Cette analyse vient conforter la chambre sociale qui, dans le cadre de la formulation de la question préjudicielle, avait clairement fait comprendre qu’elle n’entendait pas admettre une justification liée à l’attitude de la clientèle.

Quadrature du cercle

C’est donc la quadrature du cercle : que doit faire l’employeur confronté à ce type de difficulté ? Faire la leçon à son client au risque de le perdre ?
La Cour considère manifestement avoir trouvé une solution puisqu’elle indique, en ce qui concerne l’affaire belge, qu’il appartient au juge de « vérifier si tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il eut été possible », face au refus de la salariée d’enlever le voile, « de lui proposer un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ses clients plutôt que de procéder à son licenciement ».

En d’autres termes, il y aurait une obligation de reclassement même lorsque l’exigence de neutralité est prévue par le règlement intérieur et portée à la connaissance de la salariée ! La Cour d’appel de Paris avait déjà eu cette bonne idée dans un arrêt du 25 novembre 2015 dans lequel la Cour a jugé un licenciement discriminatoire au motif que l’employeur ne justifiait pas « de ce qu’il n’avait aucun poste de conseiller à distance à proposer à la salariée ».
Il est déjà aberrant de faire abstraction des contraintes opérationnelles d’un employeur qui se retrouve à choisir entre un client insatisfait et un licenciement nul. Il est encore plus sidérant de mettre à sa charge une pseudo obligation de reclassement au profit du salarié lorsque celui-ci se place de son propre chef dans l’impossibilité de poursuivre les relations contractuelles en refusant de respecter le règlement intérieur.
S’il est évident que les libertés fondamentales, notamment religieuses des salariés doivent trouver leur expression, il serait aussi temps d’avoir une approche pragmatique et de ne pas placer les employeurs dans des situations inextricables dont ils ne peuvent que sortir perdants.
 
Par Caroline André-Hesse, avocat associée du cabinet AyacheSalama
 
Source : Actualités du droit