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Quand la journée mondiale des gens de mer remet au goût du jour la convention du travail maritime de 2006 : le cas de la Tunisie

Afrique - Droits nationaux
11/07/2018
Cette année, la journée mondiale des gens de mer, qui s’est déroulée le 25 juin dernier, a été célébrée sous le thème de « bien-être des gens de mer ». L’occasion de rappeler l’importance de l’application effective de la convention du travail maritime adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT) en 2006. Les explications de Syrine Ismaili-Bastien, docteur en droit, enseignante et consultante.
La journée mondiale des gens de mer initiée par l’Organisation maritime internationale en 2010 (par la conférence des parties à la Convention internationale sur les normes de formation, de certification et de veille pour les gens de mer de 1978 connues sous l’acronyme STCW) est l’occasion de rappeler l’apport considérable des marins au commerce et à l’économie mondiale. La célébration de cette journée a pour but de mettre en exergue le rôle des gens de mer en tant qu’acteurs essentiels en matière de sécurité et de sûreté (la sécurité regroupe l’ensemble des mesures juridiques et techniques visant à éviter les accidents d’origine technique (dysfonctionnement, incendie) ou naturelle (cyclone, etc.). La sûreté, quant à elle, regroupe les mesures juridiques et techniques de protection des personnes et des biens face aux actes illicites : piraterie, terrorisme, etc.).
 
En effet, contrairement à ce qui est communément admis, près de 80 % des accidents en mer ont comme origine directe l’erreur humaine. Celle-ci est la conséquence directe du non-respect des obligations juridiques des entreprises de transport en matière de conditions de travail et de vie des marins à bord des navires. L’erreur humaine est causée par des marins peu compétents, ou en sous-effectif, ou encore ne disposant pas de conditions optimales de repos… en somme, un équipage dont les conditions de vie et de travail ne sont pas respectées.
 
C’est ainsi que l’OIT a décidé en 2006 d’adopter un texte qui regroupe les normes qui établissent les conditions minimales de travail et de vie des marins : la convention maritime du travail, plus connue sous l’acronyme MLC 2006. Souvent qualifiée de « Charte des droits des gens de mer », la convention regroupe en un même document le droit des marins à des conditions de travail et de vie décentes (http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:91:0::NO:91:P91_INSTRUMENT_ID:312331:NO).
 
La convention revient sur tous les aspects de la vie des marins à bord et des conditions de leur emploi. Elle exige des États de veiller au respect de tous ces éléments à bord des navires arborant leurs pavillons. Le titre 2 de la Convention étaie les obligations en matière d’emploi des marins. La durée du travail et de repos, le nombre d’effectif à embarquer, l’obligation de payer le salaire, le rapatriement en fin de contrat, etc. sont autant d’éléments obligatoires favorisant un environnement de travail optimal que le transporteur maritime se doit de respecter et que l’État se doit de contrôler. De son côté, le titre 3 de la Convention s’intéresse aux obligations en matière d’alimentation, de logement et de loisirs. Il a en effet été souvent constaté une prise en compte partielle de la qualité de ces éléments, voire une non prise en compte totale, notamment à bord de ce qu’on appelle les navires poubelles (navires en très mauvais état).
 
Le titre 4, quant à lui, rappelle aux entreprises de transport leurs obligations légales en matière de santé et de soins médicaux. Ils sont, en effet, tenus de protéger la santé des marins embarqués à bord de leurs navires et de leur assurer un accès rapide aux soins médicaux à bord et à terre.
 
La convention a été ratifiée par près de quatre-vingt-dix pays. Treize en sont africains et la Tunisie en fait partie (http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:11300:0::NO::P11300_INSTRUMENT_ID:312331).

Seulement, le nombre important de ratifications (la grande majorité des pays maritimes) et l’enthousiasme qui a entouré l’adoption de cette convention ne doivent pas occulter une problématique bien connue du droit international : celle de l’effectivité de son application. L’effectivité des accords internationaux demeure, en effet, un des principaux défis de la gouvernance mondiale (v. L’effectivité en droit international, de Couveinhes-Matsumot F., éditions Bruylant, 2014).
 
Il est indéniable que le respect des normes régissant les conditions de vie et de travail des marins est très variable d’un État à un autre et d’une entreprise de transport à une autre. Mais le constat général est que ces dernières se focalisent d’abord et principalement sur les normes d’ordre technique et structurel. L’entretien du matériel et la qualité du navire priment sur le bien-être des marins, pour les entreprises qui se soucient des conditions de sécurité et de sûreté de leurs expéditions. Les contrôleurs des navires dans l’État du pavillon et dans l’État du port s’intéressent eux aussi, généralement, aux mêmes points. Les raisons de ce choix sont multiples mais sont généralement dues au manque de moyens ou encore au manque de volonté du respect de la norme.
 
Concernant la Tunisie, il est de prime abord à signaler, que bien avant l’entrée en vigueur de la convention en Tunisie (le 5 avril 2017), les conditions décentes de vie et de travail des marins à bord des navires tunisiens constituaient des obligations juridiques incombant aux armateurs tunisiens et que les autorités maritimes se devaient de contrôler.
 
 Le Code du travail maritime tunisien, adopté en 1967 (http://www.iort.gov.tn/WD120AWP/WD120Awp.exe/CTX_4832-25-XhBPLvlruE/CodesJuridiques/SYNC_1403325875), regroupe un ensemble important de dispositions qui réglementent tous les aspects de vie et de travail des marins évoqués dans la convention de 2006. Mais en Tunisie aussi, l’application de ces obligations s’avère partielle. Les entreprises de transport évoquent souvent le manque de moyens ne leur permettant pas une application optimale des règles juridiques. Les entreprises peu scrupuleuses sont animées par une logique purement comptable. L’économie financière se fait aux dépends de la sécurité. Enfin, l’autorité maritime évoque la réalité selon laquelle un contrôle optimal de toutes les conditions à bord nécessite non seulement des moyens matériels considérables mais aussi des ressources humaines suffisantes, ce dont elle ne dispose pas aujourd’hui (pour une meilleure compréhension de ce sujet, v. Sécurité, sûreté maritime et facteur humain : le cas de la Tunisie, de Ismaili S., éditions l’Harmattan, mars 2018).
 
En tout état de cause, la journée mondiale des gens de mer nous rappelle l’importance de l’homme dans le processus sécuritaire de l’activité économique et donne par conséquent, une piste de réflexion sur l’amélioration de la perception de la sécurité en mer ou même à terre. Le monde économique, de plus en plus tourné vers la machine et l’intelligence artificielle, a tout intérêt à prendre conscience du fait que l’homme restera toujours au cœur de l’activité économique. La prise en compte de sa condition demeurera, par conséquent, la base d’un environnement économique sûr.
Source : Actualités du droit