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Cameroun : L’expulsion motivée du domicile conjugal ou la figure inversée du droit de répudiation (1/2)

Afrique - Droits nationaux
26/07/2018
La consécration de l’expulsion motivée du domicile conjugal, qui est le pendant de la répudiation, par le législateur pénal vient renouveler le débat sur la nature institutionnelle ou contractuelle du mariage. Un époux a au Cameroun, le loisir d’expulser son conjoint du domicile conjugal à condition que l’expulsion soit motivée (v. C. pén., art. 358-1). Toutefois, une interrogation demeure en ce qui concerne la légitimité de cette motivation étant donné que le législateur n’y apporte aucune précision. Les explications de Monique Aimée Mouthieu Njandeu, agrégée des Facultés de droit, Université de Yaoundé II-Cameroun.
Cette interrogation se transforme en crainte au regard de la pluralité des motifs plausibles pouvant être analysés comme légitimes. Toute chose qui amène à penser que le législateur pénal aurait ouvert une boîte de pandore favorable à la désacralisation et à la déstabilisation du mariage. Afin de limiter cette érosion du mariage, les juges devraient, à défaut de réduire considérablement les motifs pouvant donner lieu à expulsion du domicile conjugal, les durcir.
 
Pendant longtemps, le droit camerounais est resté attaché à la solidité des engagements à vie découlant du mariage au point de refuser d’admettre que l’un ou l’autre époux puisse unilatéralement se dégager des liens du mariage, spécialement en répudiant son conjoint. En dépit de son hostilité à cette grande liberté, il semble aujourd’hui que l’on passe d’une interdiction radicale à une sorte d’assouplissement, de faveur, de tolérance voire de permission conditionnée. L’article 358-1 (1) du nouveau Code pénal camerounais (L. n° 2016/007, 12 juill. 2016) dispose désormais qu’ : « est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à un an (01) et d’une amende de cinquante mille (50 000) à cinq cent mille (500 000) francs, l’époux ou l’épouse qui, en dehors de toute procédure judiciaire expulse, sans motif légitime, son conjoint du domicile conjugal ». Autrement exprimé, l’époux ou l’épouse qui, en dehors de toute procédure judiciaire expulse, sur le fondement d’un motif légitime, son conjoint du domicile conjugal, n’est passible d’aucune sanction : il nous semble qu’il s’agit bel et bien là d’une ouverture qui dispense les époux de la communauté de vie qu’impose le mariage. À dire vrai, si toute réforme est bien accueillie ne serait-ce que du fait qu’elle rompt avec du déjà vu, du déjà su, du déjà entendu ou du déjà connu, cette euphorie peut parfois n’être qu’éphémère lorsqu’on prend le temps de scruter en profondeur sa substance. C’est certainement le cas du nouveau Code pénal camerounais. En effet, bien qu’il soit salué pour ce qui est des innovations importantes qu’on lui reconnaît sur plusieurs points, il ne manque pas de faire des vagues, concernant cet aspect de son incursion dans l’institution du mariage en particulier.
 
En droit camerounais, le mariage est l’union d’un homme et d’une ou plusieurs femmes résultant d’un accord de leurs volontés données selon des formes solennelles et dont les conséquences sont impérativement fixées par la loi (v. Voirin P., Goubeaux G., Droit civil, Personnes-Famille, Personnes protégées, Biens-Obligations, Sûretés, t. 1, LGDJ, 31e éd., 2007, n° 165, p. 89). Le Code civil n’ayant pas donné une définition juridique au mariage, parmi les différentes définitions proposées par la doctrine, on peut retenir celle d’Alain Weill et d’après laquelle « le mariage est un acte juridique solennel par lequel un homme et une femme établissent entre eux une union dont la loi civile règle impérativement les conditions, les effets et la dissolution ». Cependant, le mariage n’est pas un simple contrat ; les époux ne peuvent aménager à leur guise les effets de leur accord et ils ne peuvent le résilier librement. Le consentement au mariage déclenche l’application d’un statut impérativement réglé par la loi, car c’est l’acte constitutif d’une famille qui est une institution de l’ordre social : on comprend donc que le mariage comporte un aspect institutionnel qui tend à primer sur celui contractuel.
 
L’expulsion est l’action de faire sortir une personne, en vertu d’un titre exécutoire et au besoin par la force, d’un lieu où elle se trouve sans droit. (Cornu G., Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, 9é éd., 2011, p. 437 ; l’expulsion est également une action consistant à obliger l’occupant sans titre ou le locataire en fin de bail d’un immeuble, ne bénéficiant pas du maintien dans les lieux, de vider les lieux. On peut aussi expulser les travailleurs en grève occupant les lieux de travail). Aussi, celui qui prend l’initiative d’exclure doit posséder une décision de justice. À vrai dire, il s’agit ici d’une application particulière de la notion d’expulsion : non seulement l’auteur de l’expulsion n’a aucun titre qui valide son action, mais surtout, le conjoint exclu demeure pourtant titulaire d’un droit de cohabitation qui légitime une occupation régulière du domicile conjugal. À l’évidence, le législateur a entendu faciliter la rupture du lien conjugal en assouplissant les conditions de son intervention. Mais en réalité, cela traduit un profond changement de paradigme dans la mesure où, désormais, l’aspect contractuel du mariage semble prendre le pas sur le caractère institutionnel. L’expulsion motivée du domicile conjugal en dehors de toute procédure judiciaire a ainsi reçu l’onction du législateur. Il s’agit d’une reconnaissance implicite aux époux d’un droit de résiliation unilatérale du lien conjugal. La question se pose de savoir si la consécration de ce droit d’expulsion dont l’accréditation vient « désacraliser » l’institution du mariage, n’engendre pas des conséquences néfastes dans son opérationnalisation (l’Église chrétienne appréhende le mariage comme un sacrement et à ce titre, il est indissoluble ; par ailleurs, la sécularisation du mariage n’a pas véritablement entamé ce caractère sacré dès lors que les conséquences du mariage sont impérativement fixées par la loi et non par la volonté des conjoints ; c’est une exigence d’ordre public). À y regarder de près, il semble que ce droit d’expulsion, qui est la figure inversée de la répudiation, devrait légitimement être analysé comme la consécration d’un droit de répudiation en faveur des conjoints par le législateur pénal. Cette appréhension semble corroborée par le fait que l’expression « motif légitime » vise bien, en effet, une situation objective, propre à couvrir des situations très diverses, laissant place dans son indifférenciation abstraite, à des données plus ou moins subjectives (Terré F., Fenouillet D., Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, Précis Dalloz, 7e éd., 2005, n° 569, p. 492).
 
Analysée comme une résiliation unilatérale du lien conjugal, la répudiation était admise par la loi mosaïque et les coutumes germaniques. Aujourd’hui, elle est encore admise en Israël (où le tribunal rabbinique la prononce), ainsi qu’en droit musulman dans de nombreux pays du monde arabe (Schlacht J., Introduction au droit musulman, éd. Maisonneuve, 1983, p. 139 et s. ; Linant de Bellefonds L., La répudiation dans l’Islam d’aujourd’hui, RID comp. 1962, 521 et s. ; Jahel S., Les concubinages en Terre d’Islam, in Des concubinages dans le monde, sous dir. Rubellin-Devichi J.). Dans ces droits, elle constitue, dans certaines conditions, une faculté reconnue au seul mari, alors qu’en droit romain, le repudium pouvait émaner de la femme aussi bien que du mari. Le législateur pénal camerounais a fait sienne cette conception romaine dans la mesure où le droit d’expulsion est reconnu indifféremment à l’époux et à l’épouse. Il existe donc un équilibre entre le genre dans l’admission de la répudiation, toute chose affirmée par la Déclaration universelle des droits de l’homme (l’article 16.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose notamment que l’homme et la femme « ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution »).
 
Néanmoins, le droit d’expulsion motivée s’avère être sur le plan social, une traduction de la mutation de l’ordre public vis-à-vis de l’institution du mariage. Sur le plan conjugal, il permet de mettre un terme aux difficultés quotidiennes des époux. Sous l’angle juridique, le droit d’expulsion motivée renouvelle le débat sur la nature juridique du mariage. L’on peut donc soutenir avec certitude que si le droit d’expulsion motivée, mieux, le droit de répudiation se construit à travers un ensemble de matériaux mobilisé par le législateur pénal quant à son exercice (I), il ne fait aucun doute que sa mise en œuvre ne saurait être assimilée à celle d’un long fleuve tranquille. Au contraire, elle engendre des conséquences qui appellent évidemment l’attention (II).
 

I - L’EXERCICE DU DROIT D’EXPULSION MOTIVÉE DU DOMICILE CONJUGAL

L’article 358-1, alinéa 1, du Code pénal prévoit qu’: « est puni d’un emprisonnement de trois mois à un (01) an et d’une amende de cinquante mille (50 000) à cinq cent mille (500 000) francs, l’époux ou l’épouse qui, en dehors de toute procédure judiciaire expulse, sans motif légitime, son conjoint du domicile conjugal ». Ce texte doit être complété par son alinéa 2, qui indique les faits aggravant cette expulsion. En effet, l’article 358-1, alinéa 2, prévoit que : « la peine est un emprisonnement de deux à cinq ans si : la victime est une femme enceinte ; l’expulsion est accompagnée ou précédée de violences physiques ou morales, de la confiscation ou de la destruction des effets personnels de la victime ; l’expulsion est commise par une personne autre que le conjoint de la victime ». C’est dire que l’exercice de ce droit commande que les titulaires (A) soient bien renseignés sur les modalités de l’expulsion (B).

A - LES TITULAIRES DU DROIT D’EXPULSION DU DOMICILE CONJUGAL Il ressort clairement de l’article 358-1 que le droit d’expulsion du domicile conjugal appartient à ceux qui ont le statut d’époux (1). Il en découle que toute autre qualité que celle d’époux ne saurait être accréditée à cette fin (2). 

1 - Les époux
La qualité d’époux ne se présume pas. Elle doit être prouvée. Cette preuve est importante pour les époux lorsqu’ils ont besoin d’invoquer leur qualité de mariés dans leurs rapports entre eux ou avec les tiers (Viatte J., La preuve du mariage, Gaz. Pal. 1974, 1, doctr. 33). Elle l’est aussi pour ceux qui tirent un intérêt particulier de l’union conjugale. C’est le cas des enfants issus de l’union conjugale, car le mariage de leurs parents est l’un des éléments d’où résultera la démonstration de leur filiation légitime. C’est encore le cas des personnes qui peuvent avoir à administrer la preuve d’un mariage, par exemple, en cas de réclamation de succession lorsqu’il s’agit d’établir le lien de parenté avec le défunt. L’article 194 du Code civil prévoit que « nul ne peut réclamer le titre d’époux et les effets civils du mariage, s’il ne représente un acte de célébration inscrit sur le registre de l’état civil ; sauf les cas prévus par l’article 46, au titre Des actes de l’état civil ». L’article 46 du Code civil dispose que « lorsqu’il n’aura pas existé de registres, ou qu’ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins ; et dans ces cas, les mariages, naissances et décès, pourront être prouvés tant par les registres et papiers émanés des pères et mères, que par témoins ». Ainsi, la loi établit, en cette matière, la preuve par titre qui est l’acte de mariage et dont le régime est celui de la preuve légale préconstituée. Il s’agit d’un régime dans lequel la loi interdit aux intéressés de prouver le fait du mariage par tout autre moyen que celui qu’elle a elle-même ménagé en organisant l’institution des actes de l’état civil. Cependant, de l’article 194, in fine, qui renvoie à l’article 46 du Code civil, il résulte qu’est possible la preuve par tous moyens des évènements intéressant l’état civil lorsqu’il n’existe pas de registres ou qu’ils se sont perdus. Cette règle est appliquée à tous les cas dans lesquels une impossibilité résultant de la force majeure fait obstacle à la production de l’acte de mariage (Req. 14 nov. 1922, DP 1924, 1, 79). La question se pose dès lors de savoir si elle peut être étendue aux mariages coutumiers.
 
Le mariage coutumier est un mariage contracté suivant les règles de la coutume et sans le concours de l’officier d’état civil. Comment prouver l’existence d’un mariage coutumier entre les époux quand on sait qu’il s’inscrit dans la tradition orale, qu’il ne laisse pas généralement des traces de sa déclaration et de preuve de son existence en dehors des témoignages pas toujours fidèles ? (Ombiono S., Mariage coutumier-validité-preuve, in Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, sous dir. Anoukaha F., Ramener F., Collection Les grandes décisions, LERDA, 2008, p. 54). S’il est important que la preuve du mariage soit rapportée de façon indubitable, l’on comprend dès lors que la preuve par écrit du mariage soit également exigée de ceux qui sont coutumièrement mariés. C’est dans ce sens que l’article 81, alinéa 1 de l’ordonnance du 29 juin 1981 précise que « les mariages coutumiers doivent être transcrits dans les registres d’état civil du lieu de naissance ou de résidence de l’un des époux ». Cette transcription semble être une exigence ad probationem car elle permet de justifier l’état des époux mariés coutumièrement (en effet, le mariage coutumier est parfaitement opposable aux conjoints, mais il ne saurait être opposable aux tiers s’il n’est pas transcrit ; cette transcription pouvant être demandée à tout moment même par un seul des époux). On le réalise bien, la possession d’état (elle suppose trois éléments que sont : le nomen (une femme qui a porté le nom de la personne désignée comme son mari), le tractatus (des personnes qui se sont toujours traitées comme mari et femme), et le fama (des personnes qui passent aux yeux de l’opinion pour mari et femme)) à laquelle on pourrait faire recours dans l’hypothèse des mariages coutumiers non transcrits, n’est pas à elle seule un mode suffisant de preuve. Elle apparaît comme une reconnaissance de la commune renommée des conjoints qu’un mariage coutumier unit ou plus largement, résultant d’une situation de fait.
 
La situation de fait renvoie ici à celle des concubins ou des fiancés qui nourrissent un projet futur de mariage ou non. En effet, le concubinage ou union libre est une union qu’aucune célébration ne constate et qu’aucun rite ne valide. C’est la situation d’un homme et d’une femme qui, de manière habituelle, entretiennent des relations sexuelles. Selon les cas, il peut exister ou non une résidence commune. Les amours peuvent être affichées ou même publiques (on parlera de concubinage notoire) ou alors secrètes (on parlera de simple concubinage). Si le concubinage se caractérise par l’existence d’une vie commune stable et continue qui peut aboutir au mariage, le mariage n’est pas en revanche, de l’essence du concubinage. Les fiançailles, quant à elles, consistent en la déclaration réciproque d’un homme et d’une femme qui prennent l’engagement moral d’entrer prochainement dans les liens du mariage. Ils sont dans une situation purement transitoire, tournée vers le futur, vers le mariage sans lequel la qualité d’époux nécessaire pour exercer le droit d’expulsion du conjoint du domicile conjugal leur sera déniée.

2. Les époux seuls, à l’exclusion des tiers
Le droit d’expulsion est reconnu aux seuls époux à l’exclusion de toute autre personne. Cette restriction ne va pas sans susciter un certain nombre d’interrogations dans la mesure où, en Afrique, le mariage est davantage considéré comme une union entre deux familles (Mouthieu Njandeu M. A., Les raisons de repenser la dot en Afrique noire : réflexion à partir des expériences camerounaise, gabonaise et ivoirienne, in RLDC 2016/143).
 
Dans cette philosophie, on comprend que des tiers se soient appropriés, de fait ou de droit, certaines prérogatives que confère le mariage aux époux. Généralement, leur intervention est fondée soit sur la proximité rapprochée du fait de la cohabitation avec les époux soit sur le mécanisme de la représentation.
 
La communauté de vie que les époux partagent avec certains membres de la famille crée une réelle confusion de rôle. En effet, on se souvient de toutes les dérives et scandales orchestrés par les proches parents, qu’il s’agisse des ascendants ou des collatéraux dans la vie conjugale des époux. Ils n’hésitent pas à s’arroger les prérogatives de chef de famille, notamment pour ce qui est de la direction de la famille, qui se décline en direction matérielle (qui consiste au pouvoir de décision et de représentation) et morale (la direction morale consiste en des valeurs que le mari, chef de famille, veut transmettre à chacun des membres de sa famille sur le plan comportemental). La question des frontières de cette immixtion se pose et il faut bien les baliser. Jusqu’où peut conduire la marge de manœuvre des proches parents dans la vie conjugale des époux ?

Outre le concours de la femme dans la direction du ménage institué par l’article 213, alinéa 2, du Code civil, elle dispose d’un mandat légal de représentation consacré par l’article 220, alinéa 1, du Code civil aux termes duquel « la femme mariée a, sous tous les régimes, le pouvoir de représenter le mari pour les besoins du ménage et d’employer pour cet objet les fonds qu’il laisse entre ses mains ». La représentation conventionnelle est prévue à l’article 218 du Code civil « chacun des époux peut donner à l’autre mandat de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le contrat de mariage lui attribue ». Cependant, il peut arriver que l’époux se fasse représenter par un tiers (cette représentation se fait à travers un mandat : il s’agit d’un contrat par lequel le mandant (ou le représenté) donne au mandataire (ou le représentant) pouvoir de le représenter) pour accomplir un ou plusieurs actes juridiques. En général, l’on peut classer les actes juridiques à partir de la gravité de leurs effets en actes conservatoires (l’acte conservatoire est celui qui a pour effet de maintenir les droits dans leur état actuel, afin qu’ils ne soient pas perdus ; v. Tchakoua J.-M., Introduction générale au droit camerounais, Études africaines, Série Droit, l’Harmattan, 2017, n° 213, p. 146), actes d’administration (c’est celui qui est nécessaire à la gestion courante d’un bien, qui sert à le fructifier, sans en compromettre la valeur en capital ; v. Tchakoua J.-M., op. cit., n° 214, p. 146) et actes de disposition (ce sont ceux qui intéressent les biens considérés dans leur valeur de capital ou qui engagent l’avenir du patrimoine : v. Tchakoua J.-M., op. cit., n° 215, p. 147). Il s’agit des actes graves et en principe, le mandataire ne peut les passer que s’il est muni d’une procuration spéciale. Un raisonnement par analogie conduirait certainement à soutenir que le mandataire pourrait se substituer au représenté pour expulser l’autre conjoint du domicile conjugal, s’il a reçu de lui un pouvoir exprès. Se pose dès lors la question de l’élection des mandataires au rang des titulaires du droit d’expulsion et plus largement des tiers.

L’immixtion dans la direction du ménage des époux tout comme le pouvoir conféré spécialement par un époux à un tiers peuvent-ils permettre d’exercer les droits personnels aux époux notamment le droit d’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal évoqué à l’article 358-1 du Code pénal ?
 
L’expulsion est un acte grave dans la mesure où elle porte atteinte au droit d’un époux de demeurer, aussi longtemps qu’il le voudrait, au domicile conjugal. Pour la pratiquer, il faudrait au préalable avoir la qualité (sur cette question, il semble que la qualité à agir découle du titre qui donne droit à une personne d’agir et le mandataire peut avoir ce titre au contraire de celui qui s’immisce) et l’intérêt à agir (l’intérêt étant personnel aux époux, ce droit d’expulsion n’est donc ouvert qu’à ceux qui ont un intérêt légitime à l’exercer selon l’adage classique : « pas d’intérêt, pas d’action » ; pour avoir le droit d’agir, il faut que l’époux qui l’engage démontre que cette action lui procurera un avantage : v. Fabre Magnan M., Introduction générale au droit, Droit des personnes, Méthodologie juridique, 2e éd., 2011, p. 249). On réalise dès lors la nécessité de l’encadrement de ce droit par le législateur. Il s’agit d’empêcher les intrusions excessives et intempestives des tiers dans les affaires des époux. Or, seuls ces derniers sont à même d’apprécier la qualité du climat au sein du foyer conjugal car ils en sont les principaux artisans. Aussi suppose-t-on que l’époux ou l’épouse qui prendra cette initiative agira en toute connaissance de cause et sera dès lors appelé à assumer toutes les conséquences fâcheuses qui en découlent en l’occurrence, l’infliction des peines d’emprisonnement et d’amende prévues à l’article 358-1 du Code pénal.
 
On peut comprendre pourquoi le cercle des titulaires du droit d’expulsion se limite aux époux car il peut être perçu à la fois comme un droit d’exercice de la tyrannie d’un époux sur un autre ou alors un droit de libération d’un époux de la tyrannie de l’autre. Ce droit n’est pas cessible, encore moins transmissible. L’article 358-1 le réserve aux seuls époux, à l’exclusion de toute autre qualité. D’ailleurs, le législateur camerounais en durcit la répression en cas d’immixtion des tiers (désormais, ce comportement « inhumain » est érigé en infraction et réprimé par les dispositions de l’article 358-1, alinéa 2, du Code pénal).
 
Il faut préciser que c’est généralement au décès de l’époux que les membres de sa famille voire les co-épouses, leurs enfants ou les propres enfants légitimes de la veuve, interviennent pour expulser la veuve du domicile familial. Or, l’article 21 du protocole de Maputo reconnaît à la veuve le droit de continuer à habiter dans le domicile conjugal. C’est la raison pour laquelle pour la protéger dans son droit, le Code pénal du 12 juillet 2016 a procédé à l’incrimination et à la répression des atteintes au droit d’usufruit de la femme qui lui permet de vivre dans le domicile conjugal. Aussi, l’expulsion commise par une personne autre que le conjoint de la victime constitue une circonstance aggravante de cette infraction dans la mesure où la peine passe à un emprisonnement de deux ans à cinq ans (C. pén., art. 358-1, al. 2). La précision autour des titulaires du droit d’expulsion, mieux, du droit de répudiation étant faite, les modalités de l’expulsion d’un conjoint du domicile familial méritent aussi d’être bien explicitées.
 

B - LES MODALITÉS DE L’EXPULSION MOTIVÉE DU DOMICILE CONJUGAL

L’expulsion motivée du domicile conjugal s’apparente à une vraie répudiation dans la mesure où elle n’est valable que si elle est intervenue en dehors de toute procédure judiciaire. Toutefois, il convient de préciser que l’intervention du juge n’exclut pas la notion de répudiation : (v. CA Paris, 22 mars 2001 : « en réponse à la demande du mari et à sa volonté unilatérale de divorce (…) constitue en réalité une répudiation obtenue par décision discrétionnaire du mari et sur sa seule déclaration, les juges ne pouvant que se borner à l'enregistrer sans pouvoir en apprécier l'opportunité ni les responsabilités dans la rupture »). En outre, la présence de certains faits constitue des circonstances aggravant la peine du conjoint qui prend l’initiative d’expulser. Il s’ensuit que l’expulsion peut se présenter sous une forme simple (1) ou sous une forme aggravée (2).

1 - L’expulsion simple d’un époux du domicile conjugal
C’est celle qui intervient en dehors de toute procédure judiciaire, sur la base de motif légitime et en l’absence des circonstances aggravant la responsabilité de son auteur. En principe, lorsqu’un litige s’élève, les parties se doivent de chercher à le résoudre. Pour éviter l’anarchie qui découlera certainement, voire assurément, du droit de vengeance, il est prévu que « nul ne peut se faire justice à soi-même » (les exceptions sont très rares : v. C. civ., art. 673, al. 2 : autorisant celui sur la propriété duquel avancent les racines, ronces ou brindilles venant du terrain voisin à les couper lui-même ; pour les branches en revanche, il devra aller en justice).
 
L’une des fonctions essentielles de l’État est de faire régner l’ordre dans la société par la résolution des différends qui séparent les individus et l’organisation de la justice publique. Ainsi, sont prévus des modes juridictionnels de résolution des litiges (par les juridictions étatiques et à travers l’arbitrage qui est autorisé en matière civile (excepté pour les questions d’état de personne ou de divorce, dans la mesure où les juridictions étatiques sont considérées comme plus protectrices et garantes de l’intérêt public) et commerciale ; en revanche, ils sont exclus en matière pénale).
 
Cependant, l’article 358-1 du Code pénal souligne que l’expulsion doit intervenir en dehors de toute procédure judiciaire. Ce qui laisse supposer que les époux n’ont pas encore exercé une action en justice pour faire constater par le juge le malaise qui règne au sein de leur couple et solliciter par conséquent, son intervention. Dans cette situation, il semble que l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal par l’autre soit encore possible. En effet, l’on peut estimer qu’à ce stade, la crise est encore gérable à l’amiable de manière à légitimer l’intervention d’un tiers (membre de la famille ou service social), qui aura pour vocation d’apaiser la situation.
 
Le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits, qui se sont développés aujourd’hui aux côtés des modes juridictionnels, pourrait s’avérer salutaire car, a-t-on coutume de le dire, « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ». À ce titre, plusieurs techniques sont offertes aux époux : la conciliation, dans un sens large, est l’accord par lequel deux personnes en litige mettent fin à celui-ci. De manière plus spécifique et opérationnelle, la notion de conciliation sert à désigner tant l’accord entre parties, obtenu au cours d’une procédure grâce à l’intervention d’un tiers, que la démarche par laquelle ce tiers s’emploie à réconcilier les adversaires. De la sorte, le différend prend généralement fin sans vainqueur ni vaincu. La médiation est le mode de solution des conflits consistant, pour la personne choisie par les antagonistes (en raison le plus souvent de son autorité personnelle), à proposer à ceux-ci un projet de solution, sans se borner à s’efforcer de les rapprocher (à la différence de la conciliation). Généralement, le service social est sollicité pour jouer le rôle de médiateur. La médiation ressemble à la conciliation en ce qu’elle tend à apporter une solution à un différend autre qu’un jugement. Mais la fonction de médiateur est plus active que celle d’un conciliateur, car il lui incombe de rechercher les éléments d’un accord qu’il propose aux parties, sans pouvoir pour autant le leur imposer (v. pour ces définitions, Terré F., Introduction générale au droit, op. cit., n° 616 et s., p. 612 et s.). La transaction est définie par le Code civil en son article 2044 comme étant « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
 
Le législateur pénal ne définit pas la transaction même s’il la prévoit à l’article 62 (1f) du Code de procédure pénale.
 
Ce vide textuel a conduit la doctrine à en faire un mode d’extinction de l’action publique résultant du pouvoir conféré à certaines administrations, de renoncer à l’exercice des poursuites contre un délinquant, en le contraignant à verser une somme destinée à tenir lieu de pénalité. Il s’agit en l’occurrence de la douane (C. douanes, art. 301), des eaux et forêts (L. n° 94/01, 20 janv. 1994, Portant régime de la faune et de la pêche, art. 141 et s.), des impôts (CGI, art 125 A), des ponts et chaussées, des prix, poids et mesures. Par ailleurs, cette transaction se distingue du nolle prosequi, consacré à l’article 64 du Code de procédure pénale de 2005, à l’article 18 de la loi n° 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création du tribunal criminel spécial modifiée par la loi n°2012/011 du 16 juillet 2012 et à l’article 13 du Code de justice militaire de 2017 (v. à ce sujet, Mani Ayong F. E., La transaction en matière pénale au Cameroun : un droit étroit, in Miroir du droit, n° 2, avril-mai-juin 2010, p. 53 et s. ; Djonko F., Embolo Bina B., Essai comparé et critique du nolle prosequi : réflexion combinée autour des articles 62 (1f) et 64 du Code de procédure pénale, in Miroir du droit, n° 2, avril-mai-juin 2010, pp. 27-31 ; Ambassa L.C., Le fameux « qui paie sort ou une renonciation monnayée à l’action publique : le pragmatisme contre la lettre ? », in Miroir du droit, n° 2, avril-mai-juin 2010, p. 11 et s. ; Yawaga S., Avancées et reculades dans la répression des infractions de détournement des deniers publics au Cameroun : regard critique sur la loi n° 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création du tribunal criminel spécial, in Juridis périodique, n° 90, avril-mai-juin 2012, p. 62 et s.). La transaction est également prévue à l’article 231 du Code des assurances-CIMA (Conférence interafricaine des marchés d'assurances).
 
Enfin, les époux peuvent décider de ne pas entreprendre une des procédures sus-évoquées en vue de la résolution de leur crise. Une lecture de l’environnement social donne de relever que c’est cette dernière option qui est privilégiée par les époux, sous le fallacieux prétexte de régler la situation en dehors de toute indiscrétion des tiers. Ils se supporteront jusqu’au jour où, n’en pouvant plus, l’un d’eux prendra l’initiative de se séparer de l’autre en l’expulsant du domicile conjugal.
 
L’on peut comprendre que pour lutter contre la répudiation qui est devenue un fait social aux conséquences multiples et multiformes, le législateur ait choisi une solution médiane. Il est passé d’une interdiction radicale de la répudiation à la reconnaissance en faveur de chacun des époux, d’un droit d’expulsion de l’autre du domicile conjugal. Il s’agit d’une expulsion simple dont les peines sont prévues à l’article 358-1 (1) du Code pénal. Cette expulsion, si elle est motivée, sera valable. Pour autant, elle ne doit pas intervenir dans des circonstances de nature à porter un préjudice supplémentaire à la victime.

2 - L’expulsion aggravée d’un époux du domicile conjugal
Bien que l’expulsion ou la répudiation d’un époux du domicile conjugal soit une situation de fait, le législateur ne souhaite pas qu’elle soit accompagnée de circonstances qui aggravent la responsabilité pénale de l’auteur. Ces circonstances sont des faits visés par la loi et qui obligent le juge à prononcer une peine plus forte que la sanction normalement encourue. L’article 358-1 du Code pénal en a prévu deux : lorsque la victime est une femme enceinte ou bien lorsque l’expulsion est accompagnée ou précédée de violences physiques ou morales, de la confiscation ou de la destruction des effets personnels de la victime (en réalité, trois faits sont visés ; le dernier, qui n’a pas retenu notre attention ici, ne concerne pas les époux. Il s’agit de l’expulsion commise par une personne autre que le conjoint de la victime et qui a été analysée en amont).
 
L’état de la femme enceinte a de tout temps préoccupé le législateur. En effet, ce dernier, sensible à sa fonction sociale de procréation, lui accorde le bénéfice de la protection légale sur plusieurs plans. En droit du travail par exemple, l’article 84 (1) du Code du travail permet à toute femme enceinte de suspendre son contrat de travail sans préavis et sans avoir de ce fait à verser l’indemnité compensatrice de préavis. Parallèlement, il interdit à l’employeur de rompre le contrat de la femme enceinte du fait de sa grossesse. À son tour, l’article 338 du Code pénal punit d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de cent mille à deux millions de francs, celui qui, par des violences sur une femme enceinte ou sur l’enfant en train de naître, provoque, même non intentionnellement, la mort ou l’incapacité permanente de l’enfant. En outre, l’article 22 (3) du Code pénal dispose que la femme enceinte ne subit la peine de mort qu’après son accouchement. Dans le Code de procédure pénale, l’article 565 énonce que la contrainte par corps ne peut être exercée contre la femme enceinte. Il convient de relever cependant que cette énumération n’est pas exhaustive.
 
Les violences physiques ou morales peuvent avoir précédé ou accompagné l’expulsion. Il peut s’agir des excès et des sévices qui renvoient à toute atteinte violente à l’intégrité physique du conjoint, à sa liberté, à sa santé. Il en est ainsi de la séquestration, de la privation de nourriture, de l’abus des relations sexuelles provoquant chez la femme une maladie ou un accident et surtout de la bastonnade (si d’aucuns ont pu reconnaître au mari un droit de correction sur la femme : v.  Nkouendjin Yotnda M., Du droit de boxer sa femme, in Revue Penant, vol. 86, 1977, p. 5, de nos jours, on observe le phénomène inverse : beaucoup de femmes n’hésitent pas à infliger de sévères représailles à leur mari).  
 
Les comportements déplorés peuvent être appréhendés sous la qualification plus large d’injures. La jurisprudence civile n’interprète pas le mot « injure » dans le sens étroit que lui donne l’article 307 du Code pénal à savoir, une expression outrageante, un geste, un terme de mépris ou une invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Elle va au-delà et considère comme « injure » toute violation des devoirs nés du mariage et toute atteinte à la dignité du conjoint. Ainsi, il y a injure non seulement quand le conjoint est outragé par les paroles, mais aussi quand il l’est par les actes contraires soit aux obligations légales des époux l’un envers l’autre, soit à la dignité du conjoint. Constituent par exemples les injures : le refus injustifié de consommer le mariage, l’abandon du domicile conjugal ou de foyer, la transmission de maladie, etc.
 
En définitive, il ne faut pas que les excès, les sévices ou les injures, qui constituent les formes de violence, aient entouré l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal, c’est-à-dire, aient eu lieu avant ou pendant cet acte. En effet, leur intervention constitue une circonstance aggravante et laisse présager du climat délétère qui prévaut au sein du foyer. On peut légitimement comprendre pourquoi le législateur les appréhende par ailleurs sous le prisme de causes facultatives du divorce (ce sont celles pour lesquelles le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation au contraire des causes péremptoires en présence desquelles il est obligé de prononcer le divorce).
 
Le législateur évoque enfin la confiscation ou la destruction des effets personnels de la victime au rang des circonstances aggravantes de l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal.
 
Il veut sanctionner particulièrement l’intention malveillante dont peut être animé l’auteur de l’expulsion, et qui le pousserait à s’attaquer aux effets personnels de l’autre. Il s’agit des biens constituant le patrimoine personnel du mari ou celui de la femme, par opposition aux biens communs et sur lesquels chaque époux propriétaire a tout pouvoir d’administration et de disposition.
 
Par ailleurs, tout en ouvrant la possibilité de l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal, le législateur veille à ce qu’un préjudice matériel ne s’ajoute pas à celui moral dont souffre déjà la victime. C’est pourquoi l’expulsion accompagnée ou précédée de la confiscation ou de la destruction des effets personnels de la victime est doublement sanctionnée. Cet encadrement de l’exercice du droit d’expulsion n’occulte pas pour autant les conséquences découlant de sa consécration par le législateur pénal (pour la seconde partie de l'article, v. ICI).
 
Source : Actualités du droit