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Réforme de la carte judiciaire : les députés font front commun avec les avocats

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
21/02/2018
Le 21 février 2018, Marc Le Fur, député LR des Côtes d'Armor et vice-président de l'Assemblée nationale, a organisé, avec Jean-Paul Mattei, député MoDem des Pyrénées-Atlantiques, une réunion à laquelle étaient conviés des députés de tous bords et les institutions représentatives des avocats. L’objectif : peser dans la réforme de la carte judicaire, qui aura nécessairement des impacts économiques locaux.
Quelques dizaines de députés, issus des sept groupes parlementaires que compte l’Assemblée nationale, se sont donc réunis ce 21 février, à l’invitation de Marc Le Fur, pour débattre avec les institutions représentatives des avocats représentées par Jérôme Gavaudan, président de la Conférence des bâtonniers et Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, de la prochaine réforme de la carte judiciaire prévue dans le cadre des chantiers de la justice.

Pourquoi cet intérêt des députés pour cette réforme ?

Actuellement 38 départements comptent un tribunal de grande instance (TGI) et 57 départements en ont plus de deux, pour un total de 164. Par ailleurs, on dénombre aujourd’hui 36 cours d’appel. Or le rapport sur le chantier de la justice consacré à l’« Adaptation du réseau des juridictions » (voir notre article du 29/01/18 : « Chantiers de la justice et carte judiciaire : une réorganisation sans suppression » et notre article du 19/01/18 : « Chantiers de la Justice et procédure civile : les schémas de la première instance au feu et le CPC au milieu ? ») prévoit une juridiction de première instance – dont le nom reste à définir – par département et une cour d’appel par région administrative, sans pour autant supprimer les juridictions « surnuméraires » qui deviendraient des "chambres déléguées spécialisées" et verraient leur ressort considérablement réduit.

Un problème pour les cours d’appel comme celles de Dijon, Pau, Versailles, Nîmes, Rennes, Agen, Poitiers ou encore Bourges, dont le ressort est à cheval sur plusieurs régions administratives… Car autour de ces juridictions se sont développés de véritables écosystèmes, à commencer par les universités qui entretiennent généralement des liens étroits avec elles. Les impacts économiques locaux pourraient donc être importants, comme l’ont rappelé Marc Le Fur et Jean-Paul Mattei. Si on ajoute à cela les fermetures d’écoles, d’hôpitaux et bientôt de lignes ferroviaires – sans pour autant mélanger tous les sujets, ont-ils précisé – il est normal que les députés, en leur qualité d’élus locaux, s’inquiètent de la réforme de la carte judiciaire. En outre, pour Marc Le Fur, « les députés se doivent (…) d’éviter un éloignement de la justice de nos concitoyens, éloignement qui serait préjudiciable à la proximité de la justice à laquelle nous sommes tous attachés ».

Sans être opposés à une amélioration du fonctionnement de la justice, les députés regrettent la méthode employée par la Chancellerie. « Prendre une réforme par l’angle d’une carte judicaire, on peut s’étonner de ce choix », a souligné Jean-Paul Mattei, tandis que plus tôt, Jérôme Gavaudan s'interrogeait : « Pourquoi réfléchir sur la base de la carte administrative et non de bassins économiques ? ».

Anticiper pour ne pas subir

Les députés Marc Le Fur et Jean-Paul Mattei ont donc décidé de constituer un « groupe informel transpartisan » et de solliciter un rendez-vous auprès de la ministre de la Justice, accompagnés des institutions représentatives des avocats, pour lui faire part des inquiétudes locales, sans attendre d’être mis devant le fait accompli.

« Nous avons une volonté de dialogue, mais qui commence par un rapport de force », a lancé Marc Le Fur. Nous souhaitons poser des questions et obtenir des explications : « nous ne voulons pas d’une loi générale et ensuite de décrets qui traduiront dans la géographie, en quelque sorte, cette nouvelle carte ». Une démarche à l’image de la journée de mobilisation des avocats et des magistrats le 15 février dernier (sur ce point, voir notre article du 20/01/18 : « Assemblée générale du CNB : oui à une réforme de la justice, non à la précipitation ! »).

En effet, à l’instar des institutions représentatives des avocats, les députés estiment qu’il n’y a eu jusqu’ici aucune concertation, contrairement à ce que soutient la garde des Sceaux. Certes des rapports ont été remis le 15 janvier dernier, avec un certain nombre de propositions, mais ils ne reflètent que des auditions et des consultations, a souligné Jérôme Gavaudan. La concertation effective commencera lorsque la Chancellerie aura fait part des propositions qu’elle a retenues. Ce qu’elle aurait dû faire avant le 15 février, conformément au calendrier fixé par la garde des Sceaux elle-même (sur ce point, voir notre article du 01/02/18 : « AG de la Conférence des bâtonniers : les avocats unis face aux futures réformes »), date à laquelle son directeur de cabinet s’est engagé à remettre une réflexion écrite avant la fin du mois… soit d’ici une semaine. Un délai a priori difficile à respecter, d’autant que Nicole Belloubet avait également annoncé que le projet de loi serait présenté à la mi-mars au Conseil des ministres. Ce qui implique que le Conseil d’État l’ait préalablement examiné.

Le calendrier semble aujourd’hui intenable et permet de nourrir toutes les inquiétudes, a déclaré Marie-Aimée Peyron : la Chancellerie va-t-elle reporter la date ? A-t-elle finalement déjà préparé un texte ? Ou compte-t-elle tout faire passer par voie de décret ? Toutes les options sont possibles...

En unissant leurs forces, députés et avocats espèrent bien peser dans le débat et obtenir des réponses, pour éviter que « la carte judiciaire soit retaillée par des comptables, pour des raisons budgétaires, ou en raison du simple fait qu’il y a moins de ressources humaines » pour la Justice, comme l’a déclaré à plusieurs reprises Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, qui était associée à cette réunion mais n’avait pu se libérer.
Source : Actualités du droit