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Dessin humoristique d’une personnalité politique : les limites de la liberté d’expression jugées non dépassés

Affaires - Immatériel
29/10/2019
La Cour de cassation réunie en assemblée plénière a considéré dans un arrêt du 25 octobre 2019 que la publication litigieuse ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression.
La chaîne de télévision France 2 a diffusé dans l’émission « On n’est pas couché », une séquence au cours de laquelle, à l’issue de l’interview de l’un des candidats à l’élection présidentielle, ont été montrées des affiches, publiées trois jours auparavant par le journal « Charlie Hebdo », concernant ces candidats.

L’une de ces affiches représentait un excrément fumant surmonté de la mention « X., la candidate qui vous ressemble ». Elle a déposé plainte avec constitution de partie civile en soutenant que cette comparaison constituait, à son égard, l’infraction d’injure publique envers un particulier. Rejetée par les juges du fond, son action l’est également par l’assemblée plénière.

Pour se prononcer en ce sens, elle rappelle que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique » et qu’« elle ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Elle rappelle également que « la restriction qu’apportent à la liberté d’expression les articles 29, alinéa 2, et 33 de la loi du 29 juillet 1881, qui prévoient et répriment l’injure, peut donc être justifiée si elle poursuit l’un des buts énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de cette Convention. Parmi ces buts, figure la protection de la réputation ou des droits d’autrui ».

Elle a plus précisément estimé que « pour déterminer si la publication litigieuse peut être incriminée, il suffit de rechercher si elle est constitutive d’un abus dans l’exercice du droit à la liberté d’expression ».

Or, « l’exigence de proportionnalité implique de rechercher si, au regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression. En l’absence de dépassement de ces limites, et alors même que l’injure est caractérisée en tous ses éléments constitutifs, les faits objet de la poursuite ne peuvent donner lieu à des réparations civiles ».

Les Hauts magistrats relèvent à cet égard que l’arrêt d’appel a retenu que l’affiche, qui a été publiée dans un journal revendiquant le droit à l’humour et à la satire, comporte une appréciation du positionnement politique de Mme X. à l’occasion de l’élection présidentielle et a été montrée avec d’autres affiches parodiant chacun des candidats à l’élection présidentielle, dans la séquence d’une émission polémique s’apparentant à une revue de presse, mention étant expressément faite que ces affiches émanent d’un journal satirique et présentent elles-mêmes un caractère polémique.

A les suivre, « la cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée de cette affiche à la lumière des éléments extrinsèques qu’elle a souverainement analysés, en a déduit, à bon droit, que la publication litigieuse ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression ».

Observations
Ainsi qu’il est précisé par la Cour de cassation dans sa note explicative du présent arrêt, l’assemblée plénière se prononce ainsi sur le point de savoir si la diffusion de l’affiche incriminée a dépassé ou non les limites admissibles de la liberté d’expression.

Elle approuve donc l’analyse en proportionnalité qui a conduit la cour d’appel à retenir que ces limites n’avaient pas été franchies.

Conformément à la grille de lecture élaborée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 15 nov. 2007, Pfeifer c/. Autriche, n° 12556/03 ; CEDH, 22 nov. 1995, S.W. c/. Royaume-Uni, n° 20166/92), l’appréciation de l’existence d’un besoin social impérieux justifiant une ingérence dans la liberté d’expression suppose la combinaison de plusieurs critères permettant de déterminer si les motifs invoqués pour justifier la restriction sont pertinents et suffisants.

La solution retenue est aussi l’occasion de préciser les conséquences attachées au constat de l’absence d’abus dans l’exercice de la liberté d’expression et à la « neutralisation » des dispositions nationales à l’origine de l’ingérence. L’arrêt apporte par là même une confirmation sur la nature et l’intensité du contrôle qu’opère la Cour de cassation en matière d’infractions de presse.
Source : Actualités du droit