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Covid-19 : les autorités organisatrices de mobilités sollicitent une aide de l’État en attendant un redémarrage

Affaires - Droit économique
Public - Droit public des affaires
02/06/2020
Par une lettre ouverte en date du 20 mai 2020, les transporteurs publics français se sont adressés au Président de la République pour réclamer à leur tour des mesures de soutien d’urgence face aux conséquences de la crise sanitaire.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

Un geste de l’État pour leur permettre de survivre jusqu’à la reprise de la fréquentation des transports, voilà ce que sollicitent les membres du GART (« Groupement des autorités responsables de transport »), après avoir largement contribué au maintien des services publics pendant la période de confinement.

Le GART, composé des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), dont notamment Île-de-France Mobilités, pâtit aujourd’hui lourdement des conséquences de la crise du Covid-19, sans que le déconfinement n’ait laissé entrevoir de réelles perspectives de reprise à ce jour.
 
Les AOM, compétentes pour l’organisation des services de mobilité sur un ressort territorial, se distinguent des autorités organisatrices de transport (AOT), lesquelles se chargent spécifiquement de l’institution et de l'organisation des services de transport public réguliers et à la demande. La catégorie d’AOM englobe donc celle d’AOT.

En vertu du principe cardinal de continuité des services publics, les réseaux de transport publics s’efforcent depuis le début de la crise de maintenir l’offre de mobilité sur l’ensemble du territoire national, grâce aux efforts financiers des AOM. Toutefois, leur déficit se creuse jusqu’à atteindre, 4 milliards d'euros de pertes cumulées, dont plus de la moitié subie par Île-de-France Mobilités. Elles déplorent précisément la perte de 2 milliards d’euros sur les 9,4 attendus cette année grâce au versement mobilité, et de 2 milliards relatifs aux recettes tarifaires.

Des recettes en chute libre

Le versement mobilité est une taxe sur la masse salariale acquittée par les employeurs, finançant en temps habituel plus de 40 % des transports en commun sur l’ensemble du territoire. Les mesures de chômage partiel et les arrêts de travail rapidement mis en place au début de la crise ont entrainé, par voie de conséquence, l’arrêt du prélèvement de cette source de financement.

Les recettes tarifaires liées à la vente de titres de transport ont quant à elles été substantiellement taries par huit de semaines de confinement, prolongées par le télétravail et la promotion des mobilités alternatives, ainsi que la distanciation sociale et ses conséquences sur les capacités d’emport.

Face à cette situation inédite, une intervention publique est appelée par les acteurs du secteur. AOM particulièrement touchée, Île‐de‐France Mobilités ne sera plus en mesure, cet été, de s’acquitter de sa contribution auprès de ses opérateurs, à défaut d’une amélioration rapide de sa situation financière.

Le recours nécessaire aux aides d’État

Le principe de prohibition des aides d’État sur le marché intérieur, fixé aux articles 107 et 108 du TFUE, est déjà largement mis en retrait à ce jour, grâce à l’activation des dérogations prévues par les Traités, à l’instar de la théorie des « évènements extraordinaires » prévue à l’article 107 paragraphe 2, point b)(1).

En outre, la Commission européenne, compétente en matière de contrôle de compatibilité des régimes d’aides, a expressément permis, dès le 20 mars 2020(2), un assouplissement temporaire afin de permettre aux États de « remédier à une perturbation grave de [leur] économie »(3).

Sur ce fondement, le gouvernement français est venu aider certains de ses géants privés à la dérive, mobilisant notamment au profit des groupes Renault et Air France-KLM, des prêts garantis et des prêts directs d’État à hauteur respective de 5 et 7 milliards d’euros(4). La Commission a également validé le régime français visant à reporter le paiement par les compagnies aériennes de certaines taxes(5). C’est dans ce contexte que s’inscrit aujourd’hui la demande des AOM à bout de souffle.

Spécificité d’Île-de-France Mobilités

Toutefois, la nature juridique d’IDFM, établissement public sui generis, la distingue des entreprises évoquées, et les modalités à envisager pour tenter d’éviter le naufrage annoncé restent à définir à ce titre.

D’une part, l’interrogation remet sur le devant de la scène l’enjeu relatif à l’absence de prise en compte du critère organique de l’entité(6). De l’autre, elle s’inscrit dans la foulée de la saga contentieuse récemment achevée par la Cour de justice sur la portée de l’avantage sélectif attaché à la garantie d’État illimitée inhérente au statut d’établissement public(7).

En fin de compte, autant qu’un choix politique, c’est la flexibilité du régime matériel des aides d’État qui devra permettre de trancher en droit, dans un sens ou dans l’autre. Espérons quoiqu’il en soit que la continuité du service public en ressorte indemne.

(1) Communication de la Commission européenne en date du 13 mars 2020 (COM(2020)112 final)
(2) Communication n° 2020/C 91 I/01, lire à ce sujet : L’économie européenne à l’épreuve du Covid-19 : un encadrement temporaire des aides d’État fondé sur « une perturbation grave de l’économie d’un État membre », Actualités du droit, 24 mars 2020
(3) Article 107, paragraphe 3, point b) du TFUE
(4) Lire à ce sujet : Covid-19 : de nouvelles aides publiques au profit des fleurons de l’industrie française, Actualités du droit, 29 avr. 2020
(5) Communiqué de la Commission européenne en date du 31 mars 2020 (IP/20/514)
(6) CJCE, 23 avr. 1991, aff. C-41/90, Klaus Höfner et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH
(7) CJUE, 19 sept. 2018, C-438/16 P, Commission c/ France et IFP Énergies nouvelles ; lire à ce sujet Équation aides d’État-EPIC : le Tribunal de l'UE doit revoir sa copie !, Actualités du droit, 10 oct. 2018

Marie GUÉNA
Alix QUENNESSON
Source : Actualités du droit